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Toutes choses scintillant
Véronique Ovaldé > Roman
Illustration Couverture > Camille Sauvage
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Fiche technique

Format : 14 x 20 cm
176 pages
Broché avec rabats
ISBN : 2-84804-013-0
Sortie : 26 août 2002
Prix : 17€

C’est la captivante histoire d’une liberté conquise en territoire hostile. Nikko est née au pôle, sur une île polluée. Le mal qui la guette sera peut-être son salut.
Son premier roman est Le Sommeil des poissons (Seuil, 2000).

Toutes choses scintillant a obtenu le Prix Gironde 2003.

Extrait Partie I, Chapitre I

En fait, mon père n’est pas mon père. J’ai été échangée à la naissance contre une autre petite fille — plus rouge, plus solide, avec de vrais cheveux et un corps en bien meilleur état de marche, une petite fille moins silencieuse et moins inquiétante, c’est toujours ce que dit mon père, il dit « elle est inquiétante », il me regarde un moment et il dit « elle est inquiétante », il s’éloigne un peu comme s’il avait peur de se laisser contaminer par ma bizarrerie, il a un léger recul, et je prends un air vraiment inquiétant, je souris en le regardant de côté et je m’amuse et je me répète tout bas « de toute façon tu n’es pas mon père ».
Je suis née une nuit de lune froide, l’une de ces nuits qui, au pôle, à Koukdjuak, s’étendent sur des jours et des jours, accompagnées de blizzards et de beaucoup de tumulte. Durant la longue nuit d’hiver de cette année-là, trop de bébés sont nés. Toutes les femmes, les plus jeunes, encore toutes petites, impubères j’en suis sûre, et les plus âgées, déjà au crépuscule, abasourdies d’avoir vu s’arrondir leur ventre sec, toutes les femmes mettaient bas.
C’est ainsi que ma mère commençait mon histoire. Elle seule m’en parlait. Elle s’asseyait à la table de la cuisine, les paumes bien à plat de chaque côté de son petit verre épais. Elle s’installait et je venais près d’elle — je ne venais pas parce que son récit m’intéressait, je l’avais entendu des dizaines de fois, je venais simplement calmer sa douleur, je venais moi aussi m’asseoir à cette table les paumes également bien à plat sur la toile cirée juste pour apaiser sa solitude, je n’écoutais pas, non, je n’écoutais pas sa litanie, ma petite tête faisait deux tours et s’en allait, elle sortait par la porte, toujours par la porte et volait jusqu’au lac, ma petite tête vagabondait pendant que ma mère me récitait sa complainte. C’était un moment doux d’ailleurs, nous étions seules, elle avec sa mythologie et moi avec mon vagabondage, nous étions bien, je pouvais goûter le silence au moment où sa main droite s’emparait du verre, s’attardant un instant en l’air, comme hésitant à prendre encore une rasade et puis se résignant encore, je souriais et je la laissais parler de cet hiver lointain où j’étais née.
Elle disait — et le bruit de sa bouche était un petit bruit mouillé —, elle disait « la cabane de Kumiku nous a toutes abritées ». Je regardais dehors, la neige et son scintillement tranquille sous le soleil ; je la laissais continuer, je laissais ma mère ressasser ; elle me jetait un œil, observant mon sourire, s’interrogeant sans doute, mais n’ignorant rien de moi, connaissant ma gentille bizarrerie, s’en accommodant finalement puisque j’étais bien la seule à écouter son histoire.
Elle répétait que la cabane de la Kumiku, la plus chaude et la plus solide, avait servi de maternité, que les enfants y étaient nés dans un grand tonnerre, perplexes d’apparaître en même temps au jour, à la glace et à l’humanité — mais une humanité des premières fois, braillarde et querelleuse. Elle racontait que les femmes s’étaient chamaillé les paillasses, certaines y allant sur le plancher, les bébés sortant de là comme ils pouvaient, sortant des ventres, oh oui, avec régularité, comme si rester une nuit de plus à l’intérieur était devenu impossible.
Ces apparitions s’étaient faites dans une grande confusion, il y avait des petits partout. « Comment s’y retrouver ? » répétait ma mère en soupirant, se vidant de la grande quantité d’air qui séjournait dans ses poumons. Une forte odeur d’entrailles s’échappait de chez la Kumiku — les femmes avaient entendu les bêtes rappliquer, gratter aux portes et cogner le toit. Les plus vaillantes d’entre les femmes les chassèrent, disposèrent des parfums dans des coupelles à la porte de la cabane de Kumiku et alimentèrent de petits brasiers dans la neige au pied des murs, tenant ainsi les bêtes à distance de la maison ; mais on voyait encore leurs yeux luire dans l’obscurité, on les savait tapies, patientes, promises, on connaissait leur désir et leur faim. Certaines femmes s’affolèrent, se mélangèrent les petits; il y eut des drames et des détresses ; elles discutèrent, s’échangeant de nouveau les minuscules, parlementant, pépiant et jaugeant — un œil de son père, la bouche à sa mère.
« Comment s’y retrouver ? »
Puis elles avaient fini par ne plus se disputer, désignant juste les petits, se les distribuant avec sérieux, y mettant de l’intuition et de l’application.
C’est pour cette raison que je suis sûre que mon père n’est pas mon père. Ma mère non plus d’ailleurs n’est pas ma mère ; je ne me leurre pas. Mais ça n’a pas d’importance. Elle me convient parfaitement avec ses bruits de bouche, ses fables tristes et ses mains chaudes — leurs paumes sèches comme un petit creux de terre. Je suis peut-être la fille de la Kumiku et de son marin. J’aurais pu ressembler à n’importe quel autre bébé, il y en avait eu tant pendant cette longue nuit froide.
Tout cela avait bien sûr à voir avec l'usine. Mais ma mère n'abordait ce sujet que bien plus tard dans son récit, tentant chaque fois de retarder le plus possible le moment où elle y parviendrait, comme s'il s'agissait de quelque chose qui la mettait vraiment mal à l'aise, comme si elle ne voyait pas bien comment en aborder le mystère — quelque chose à voir avec la sexualité peut-être, j'aurais pu avoir l'indé-licatesse de poser des questions —, je la voyais arriver, contourner l'usine, et dès qu'elle effleurait le sujet pour s'en éloigner au plus vite, je m'y mettais, je m'y jetais, je la bombardais de questions. Là se finissait souvent son monologue, elle plissait ses lèvres et repoussait sa chaise, rougissant un rien je crois, toussotant et, magnifique, feignant la surdité, utilisant le «je t'entends pas bien » comme si nous étions aux deux extrémités d'une ligne téléphonique envahie de grésillements, ne se rendant même pas compte de l’incongruité de cette remarque, « je t’entends pas bien », alors que j’étais là, assise juste devant elle à attendre de la voir se dépêtrer de son piège, alors que j’étais là à la regarder s’éloigner, s’effrayer et que je n’avais plus maintenant qu’à me lever aussi pour partir dans la chambre et réfléchir et redouter ce qu’elle taisait. Il y avait cette chambre, maman, où je passais tout mon temps à attendre, toujours toujours attendre pour savoir si les choses, d’aventure, n’allaient pas s’arranger différemment, s’ordonner sous mes yeux. Je m’asseyais au fond du lit totalement immobile et j’écoutais le grand silence de la neige alentour et j’épiais ce qui se passait au fond de mon corps — est-ce que tout fonctionne bien ?

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...Une écriture serrée, dense et concise, un récit étourdissant de beauté sauvage (...) Un roman à la réalité âpre et dérangeante auquel les amoureux de la littérature ciselée ne devraient pas rester insensibles.

Fnac.com

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Le texte est splendide car il est pur comme de la glace. Et Véronique Ovalde a l'intelligence d'avoir crée un personnage qui ne s'apitoie jamais sur son sort. Nikko est une femme forte. De ces êtres qui s'accrochent à la vie (...) un texte qui donne envie de se lever.

Amazon.fr

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Distinguée par la mention «attention talent» de septembre
par les magasins fnac, l'ouvrage de Véronique Ovalde Toutes choses scintillant, s'est détaché du lot par la qualité de son écriture et pour l'originalité de son thème.

Metro

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«

Bizarre et cru.

Femme actuelle

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